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amour, couple mixte, Etats-Unis, hymne à la vie, James McBride, religion, ségrégation
La couleur de l’eau / James McBride. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Gabrielle Rolin. Nil éditions, 2003. 290 pages
Au départ, Rachel Deborah Shilsky, Polonaise, quitte son pays natal pour les Etats-Unis avec son père, rabbin, et s’établit dans le Sud où la vie n’était pas douce dans les années 1930 pour qui était « différent ». Adolescente, elle s’y ennuie, fait des bêtises, file à Harlem pour en faire d’autres et se voit reniée par les siens. A l’arrivée, en bout de siècle, la voici qui retrace pour son fils le chemin parcouru. Deux fois veuve, mère de douze enfants de pères noirs, elle n’a cessé de se battre contre la pauvreté, les humiliations, l’angoisse, et elle a gagné la partie. Comment ? Tout simplement parce qu’elle n’a pas cessé d’aimer, hier la ribambelle de bébés qu’elle déposait, faute de place, dans les tiroirs de la commode, puis les adolescents qu’elle a réussi à envoyer à l’université et qui sont devenus docteurs, professeurs, musiciens…, enfin les exclus qu’elle s’efforce de tirer de l’ornière. Et de ses plaies, bosses, coups de cœur, monte un hymne à la vie oui carillonne aux oreilles du lecteur.
Autobiographie à deux voix. Chapitre après chapitre, James McBride et sa mère se racontent. Les difficultés de l’intégration, de la construction, de se sentir différent. Deux générations qui se succèdent mais qui ont tant à raconter.
D’abord Ruth Jordan, née sous un autre patronyme en Europe, de confession juive dans les années 20. Elle raconte son enfance, la ségrégation dont elle fut victime, avant dernière roue du carrosse dont le Ku Klux Klan pouvait aussi bien s’occuper si l’envie leur en prenait. Enfant d’un couple mal assorti, dominé par un père qui ne laisse aucun répit à sa famille, ne les laissant pas mourir de faim, mais les délaissant totalement au niveau de la gentillesse et de l’amour. Ce sentiment elle va le découvrir grâce à un jeune homme noir, son premier petit ami, qui peut être lynché à tout moment si l’on découvre cet amour coupable. Pour de nombreuses raisons que je tairais ici, Ruth part à New York, rejoindre de prime abord sa famille maternelle, guère plus chaleureuse dans la description qu’elle en fait mais qui s’occupe a minima d’elle et lui permet de s’émanciper suite à ce 1er envol. Elle va découvrir l’amour, le respect et les attentions grâce à son futur mari et père de James McBride. Mais un couple mixte dans les années 40 reste un obstacle (et même plus tard comme nous le verrons tout au long de cette existence) ; la religion, le respect de l’Eglise et des valeurs d’éducation à transmettre vont leur permettre de poursuivre leur existence.
C’est à une période plus tardive que fait écho l’auteur. Naît dans les années 50, après le décès de son père, dernier de la 1ere partie de la fratrie, il voit ses ainés commençaient à s’émanciper, témoin des prémices du Black Power etc. S’il décrit sa petite enfance, tout du moins ses souvenirs marquants vis à vis de sa mère, cette femme blanche dans un quartier noir, dévisagé par les uns comme par les autres, il ne tarde pas à s’interroger et à questionner sa mère sur sa couleur de peau. Le fait d’avoir une mère blanche fait-il de lui un enfant blanc, même s’il est de couleur trop foncé pour pouvoir le revendiquer ? Il s’égare, cherchant partout une réponse au travers le comportement de ses ainés. Leur mère souhaitant qu’ils réussissent, entreprend de les inscrire dans les meilleures écoles où, bien souvent, chacun est le seul noir de sa classe. Mais les interrogations de James McBride ne s’arrête pas là, même s’il racontera sans pudeur ses errances, ses erreurs. En se racontant, en cherchant cette place, il souhaite avant tout rendre hommage à cette mère, non pas un modèle, loin s’en faut (il n’omet pas ses erreurs ou ses travers) qui après le décès de son second mari, se retrouve avec 12 enfants à élever, sans argent de côté. Cette femme égarée devant cette nouvelle épreuve, ne se désespère pas devant ses enfants et continuera à les élever comme elle et ses deux époux l’entendaient : religion et apprentissage scolaire, tels sont les deux mamelles de cette vision.
Idyllique me direz-vous ? Point du tout. De manière éclatante, plus discrète aux yeux de leur mère, ces enfants font parfois voler en éclat ses dispositions, mais inlassablement elle essaie de les faire revenir dans ce chemin et y parviendra. Voilà la conclusion que vous pourrez lire avant l’ultime chapitre de cette hi « saga »qui se dévore, à la fois pour l’histoire familiale et pour le témoignage qu’elle nous donne des années 30 à 70. Bien entendu il s’agit d’une vision incomplète car se situant au niveau d’une famille, mais elle est si vivante que l’on ne peut que s’attacher à cette tribu.