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cuisine, destin, histoire, Marie NDiaye, quête gustative, vie
La cheffe, roman d’une cuisinière / Marie NDiaye. Gallimard, 2016 (Blanche). 280 pages
« Elle trouvait excessives les louanges dont on s’est mis à couvrir sa cuisine. Elle comprenait les sensations puisqu’elle s’appliquait à les faire naître, n’est-ce pas, et que leur manifestation sur la figure des convives l’enchantait, c’est tout de même bien ce à quoi elle s’évertuait jour après jour, depuis tant d’années, presque sans repos. Mais les mots pour décrire tout cela lui paraissaient indécents ».
Le narrateur raconte la vie et la carrière de la Cheffe, une cuisinière qui a connu une période de gloire, dont il a longtemps été l’assistant – et l’amoureux sans retour. Au centre du récit, la cuisine est vécue comme une aventure spirituelle. Non que le plaisir et le corps en soient absents, au contraire : ils sont les instruments d’un voyage vers un au-delà – la Cheffe allant toujours plus loin dans sa quête d’épure.
De prime abord, j’ai trouvé déstabilisant cet usage de la narration par une tierce personne, cette manière de raconter, sans que l’on sache réellement qui se cache vraiment derrière ces souvenirs. Même chose pour ces petites échappées contemporaines… est-ce bien le même narrateur, une tierce personne ? En fait tout cela ajoute un peu plus de mystère au personnage de la cheffe, dont la prime enfance, l’éveil à la cuisine et l’existence vont nous être racontés à travers les yeux de cet ancien collaborateur.
C’est un récit à la fois construit et virevoltant, la cheffe étant toujours au coeur de l’histoire mais des détails, l’existence de sa famille, de ce collaborateur, de sa fille venant enrichir ces lignes. Un peu à la manière de la cuisine de la cheffe, point de détails en trop, tout est donné pour enrichir le récit, sans l’alourdir. Les passages consacrés aux mets préparés par la cheffe furent pour moi des moments magnifiques, tant je l’imaginais au-dessus de ses casseroles et autres, cherchant à trouver la perfection, sa perfection. Même à travers les plats loin de m’attirer d’habitude, mon imagination ne pouvait s’empêcher de galoper, de tenter de trouver odeurs et goûts. Je me suis demandée si Marie Ndiaye avait concocté ces recettes avec un chef ou d’où pouvez lui venir cette inspiration aux fourneaux.
Etonnant par sa construction, je me suis totalement laissé gagner par cette lecture que j’ai beaucoup aimé. Et, si la cuisine tient une place essentielle, comme de juste, sachez que les relations humaines et bien d’autres thématiques sont importantes dans ce très beau roman.
A découvrir et à déguster, si ce n’est pas encore fait.