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Didier Decoin - Le Bureau des Jardins et des Etangs.

Le bureau des jardins et des étangs / Didier Decoin. Stock 2017. 385 pages. 

Empire du Japon, époque Heian, XIIe siècle. Etre le meilleur pêcheur de carpes, fournisseur des étangs sacrés de la cité impériale, n’empêche pas Katsuro de se noyer. C’est alors à sa jeune veuve, Miyuki, de le remplacer pour porter jusqu’à la capitale les carpes arrachées aux remous de la rivière Kusagawa. Chaussée de sandales de paille, courbée sous la palanche à laquelle sont suspendus ses viviers à poissons, riche seulement de quelques poignées de riz, Miyuki entreprend un périple de plusieurs centaines de kilomètres à travers forêts et montagnes, passant de temple en maison de rendez-vous, affrontant les orages et les séismes, les attaques de brigands et les trahisons de ses compagnons de route, la cruauté des maquerelles et la fureur des kappa, monstres aquatiques qui jaillissent de l’eau pour dévorer les entrailles des voyageurs. Mais la mémoire des heures éblouissantes vécues avec l’homme qu’elle a tant aimé, et dont elle est certaine qu’il chemine à ses côtés, donnera à Miyuki le pouvoir de surmonter les tribulations les plus insolites, et de rendre tout son prestige au vieux maître du Bureau des Jardins et des Etangs.

Un ouvrage, tour à tour sensuel, prenant, historique et grave. Et tout cela grâce à des carpes.

Oui cela est possible via la plume de Didier Decoin, formidable connaisseur du Japon ancien, qu’il a souhaité retranscrire via ce roman. Tant dans  le quotidien d’un village, et plus particulièrement la vie d’une jeune femme Miyuki, et l’ébauche de la vie à la Cour ou simplement de la capitale. Entre ces deux mondes, il nous narre via le voyage de ses personnages principaux (femme et poissons), l’état de ce Japon du XIIème siècle : ses guerriers, ses temples et maisons de rendez-vous, ses hauts magistrats. Tout est là et même plus encore car les croyances populaires, les légendes ne sont pas omises.

C’est avec beaucoup d’amour que notre romancier décrit la fragilité des carpes, quasi divinité ressemblant parfois à ce monde qui semble tout près de basculer. Portées à la force des frêles épaules de Miyuki, elles peuvent à tout moment mourir par le fait d’un faux mouvement, des intempéries, de la gourmandise ou de la cupidité des êtres rencontrés. Parallèlement Miyuki joue son va-tout dans ce long chemin vers la capitale, dernier hommage à son époux, et respect de la parole donnée. Elle va le découvrir semé de plus d’embuches que jamais elle n’aurait imaginées – certes sa naïveté est naturelle mais peut parfois agacer – . Cette solitude, ce cheminement dans les pas de Katsuro l’entraîne à se remémorer les douceurs de leur existence, l’amour charnel retranscrit parfois comme dans un ouvrage érotique, les odeurs de la vie, de l’homme dont elle a partagé une courte existence.

En alternant les différents genres évoqués, en racontant cette paysanne se rendant à la capitale dans un climat instable et hostile, Didier Decoin écrit un conte à sa manière. Belle plume, lisibilité parfaite, mais qui nous fait basculer d’un extrême à un autre dans le sujet et son traitement.

L’avis de Papillon