IMG_0839 (2)Lecture commune consacrée à Joseph Boyden avec Laure pour Le Mois américain.

Dans le grand cercle du monde / Joseph Boyden. Traduit de l’anglais (Canada) par Michel Lederer. Albin Michel, 2014. 584 pages

Situé dans les espaces sauvages du Canada du XVIIe siècle, ce roman épique, empreint tout à la fois de beauté et de violence, est d’ores et déjà considéré dans son pays comme un chef-d’oeuvre. Trois voix tissent l’écheveau d’une fresque où se confrontent les traditions et les cultures : celle d’un jeune jésuite français, d’un chef de guerre huron et d’une captive iroquoise.
Trois personnages réunis par les circonstances, divisés par leur appartenance. Car chacun mène sa propre guerre : l’un pour convertir les Indiens au christianisme, les autres, bien qu’ennemis, pour s’allier ou chasser ces « Corbeaux » venus prêcher sur leur terre. Trois destins scellés à jamais dans un monde sur le point de basculer. Mêlant lyrisme et poésie, convoquant la singularité de chaque voix – habitée par la foi absolue ou la puissance prophétique du rêve, Joseph Boyden restitue, dans ce roman d’une puissance visuelle qui rappelle Le Nouveau Monde de Terrence Malick, la folie et l’absurdité de tout conflit, donnant à son livre une dimension d’une incroyable modernité, où « le passé et le futur sont le présent ».

Quel souffle ! 3 chapitres, 3 voix se mêlent pour nous raconter la fragile existence des terres canadiennes et de ses habitants au XVIIème siècle, dont la vie et les relations entre tribus reposent sur des traditions séculaires, un équilibre précaire mais où le respect des guerriers, des hommes n’ayant pas peur de la souffrance et de la mort va se trouver mis à mal par l’arrivée de la religion, des européens qui transposent leurs guerres modernes dans ce nouveau pays où les richesses coulent à flots, selon eux.

Mais l’envers, du décor se déroule sous nos yeux : le quotidien, les difficultés de la vie pour obtenir des récoltes suffisantes pour pratiquer l’échange des peaux, des biens dont chaque tribu s’est fait une spécialité. Lorsque les corbeaux paraissent, ces jésuites croyant sauver des vies grâce à la religion, c’est déjà les prémices de l’enfer par les maladies, les doutes, les croyances différentes et les armes à feux. Un fragile équilibre qui ne se remettra jamais de leur présence. Nous le savons et déjà, certains d’entre eux le perçoivent sans imaginer la rapidité des événements et leur brutalité.

Joseph Boyden revisite l’histoire, ne dissimulant rien de ce qui choque nos esprits contemporains, s’appuyant sur les propos de ces  personnages si différents par leur condition, leur âge et leur appartenance. Comme va le découvrir et se l’avouer Christophe Corbeau (le prêtre), ce monde est à la fois merveilleux et cruel. Il a appris au contact des Hurons à vivre et survivre dans ce nouveau pays, une nouvelle langue (même s’il ne maîtrise pas toutes les subtilités des usages) ; il comprend mieux leurs us et leurs courages mais sa quête de les voir baptiser, son statut et sa vision des « sauvages » l’empêchera de voir bien des beautés de cette existence.

C’est grâce à Oiseau et à Chutes-de-Neige, que l’envers du décor nous est rendu, que nous percevons ce fragile équilibre dont la chute semble imminente tout au long du roman. Roman d’apprentissage, du quotidien et du courage. Ni paradis, ni enfer, car cet univers est constitué de ce que chacun apporte et donne, prêt à accepter à écouter les expériences, les rêves et surtout que la vie peut renaître alors que tout semble détruit…

L’écriture de Joseph Boyden m’a semblé prendre un élan encore plus grand que dans ses précédents ouvrages ; un roman d’une construction plus enlevée. En dépit de la violence qu’il n’omet d’aucune façon, la vie de ce village et plus particulièrement de ces  voix contrebalancent tout. Elles nous permettent de voir à travers leurs yeux et de poursuivre la lecture sans obstacle. Joseph Boyden redonne vie à ces oubliés, rappelant que les sauvages ne sont pas forcément ceux que l’on nomment ainsi.